Être à soi plutôt que se définir : ce que nous enseigne Le siècle des égarés de Julia de Funès

Le Siècle des égarés

Introduction : une époque obsédée par l’identité

Nous vivons dans une société où chacun cherche à se définir, à affirmer son identité et à se distinguer. Pourtant, malgré cette quête incessante, beaucoup peinent à se sentir pleinement eux-mêmes.
Dans Le siècle des égarés, la philosophe Julia de Funès explore avec une clarté rare cette crise identitaire contemporaine.
Sa vision, à la fois lucide et sensible, rejoint profondément mon expérience de Gestalt-thérapeute : vouloir se définir, c’est souvent risquer de se perdre.


Quand l’identité devient un masque

Julia de Funès écrit :

« Ne parvenant pas toujours à nous définir, anxieux à l’idée d’assumer véritablement notre authenticité, nous empruntons des identités, nous imitons, nous jouons à être. »

Autrement dit, nous portons des masques. Ces rôles – professionnel, familial, social – nous permettent de fonctionner, mais peuvent aussi nous enfermer dans une image.
Ainsi, l’identité devient parfois une armure : protectrice, mais rigide.

Or, en Gestalt-thérapie, nous considérons que l’être humain est un processus vivant, en constante évolution.
Plutôt que de chercher à « être quelqu’un », l’enjeu est d’être en contact avec soi, avec son ressenti, et avec le monde.
En somme, la Gestalt invite à ne plus se définir, mais à se sentir.


L’illusion du moi stable : la vie comme mouvement

Julia de Funès rappelle que le mot « identité » contient une contradiction :

« Il signifie à la fois le même (être identique) et le différent (être spécifique). »

Autrement dit, nous cherchons à être à la fois semblables et uniques.
Mais la vie n’est pas stabilité, elle est mouvement, impermanence, transformation.

« Chercher une permanence revient à nier la vie, qui n’a de permanent que son impermanence. »

Dans la Gestalt, nous observons ce mouvement comme une danse du contact : tout ce qui vit change, s’ajuste, se transforme.
Ainsi, vouloir fixer une identité revient à s’éloigner de la vitalité du présent.

Plutôt que de se demander « Qui suis-je ? », la question devient : « Comment suis-je ? »
Cette nuance change tout : elle ouvre à l’expérience plutôt qu’à la définition, à la présence plutôt qu’à la performance.


L’obsession identitaire : quand le « je » se fige contre le « nous »

Nous vivons, selon Julia de Funès, une ère d’effervescence identitaire.

« Il y a moins une éthique de l’autre qu’une éthique de l’être-soi et de l’épanouissement. »

Autrement dit, chacun veut exister par sa différence.
Cependant, cette quête de singularité devient parfois une forme de séparation, voire d’opposition.
Le risque ? Transformer la relation en rapport de force identitaire.

En thérapie, je constate souvent cela : des personnes enfermées dans des étiquettes — « je suis hypersensible », « je suis introverti », « je suis victime ».
Ces mots rassurent, mais ils peuvent aussi figer la relation.
Être en lien, c’est accepter de se laisser traverser par la rencontre, d’être touché, transformé.

La Gestalt-thérapie invite à restaurer cette fluidité :
plutôt que d’affirmer « je suis ceci », je peux explorer « voilà ce que je ressens ici et maintenant ».
Ainsi, la relation redevient vivante, mouvante, humaine.


Le sentiment de soi : une alternative vivante à l’identité

Julia de Funès propose une issue puissante : passer de l’identité au sentiment de soi.

« L’identité fige, fixe, stabilise, tandis qu’être à soi épouse le mouvement de la vie. »

Ce sentiment de soi est une expérience plus qu’une idée.
Il ne se réfléchit pas : il se ressent.
Il naît dans le corps, dans le souffle, dans une émotion juste ou dans une action libre.

En séance, je vois souvent émerger ce sentiment lorsque la personne quitte la réflexion pour revenir à l’expérience :
« Qu’est-ce qui se passe en moi maintenant ? »
« Quelle sensation monte ? »
« Qu’est-ce que je me découvre dans ce moment précis ? »

C’est à cet instant que le moi vivant se manifeste.
Non pas comme un concept, mais comme une présence incarnée.


Être à soi, être avec l’autre : une danse vivante

Montaigne disait :

« La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi. »

Julia de Funès ajoute :

« S’ouvrir à l’autre sans s’oublier. Être à soi n’empêche pas de s’engager, mais interdit de se sentir prisonnier. »

Cette phrase résonne profondément avec la philosophie de la Gestalt :
être à soi ne signifie pas s’isoler, mais être présent à soi pour mieux être avec l’autre.
La relation devient alors une co-création : un espace mouvant où chacun se découvre et se redéfinit au contact de l’autre.

Trop de « soi » enferme ; trop d’« autre » dissout.
L’équilibre se trouve dans cette tension vivante, cette respiration entre autonomie et lien.


Vers une écologie du lien

Julia de Funès conclut :

« Connaître le sentiment d’un “nous” sans tomber dans l’impasse identitaire est le prix de la paix et de la liberté. »

Cette phrase résume magnifiquement l’enjeu contemporain :
comment exister ensemble sans se dissoudre, comment être singulier sans se séparer ?

La Gestalt-thérapie répond à cette question par la pratique du contact :
rester attentif à ce qui se vit, ici et maintenant, dans la rencontre.
C’est dans cette conscience relationnelle que peut naître une écologie du lien, où chacun se sent libre, reconnu et vivant.


Conclusion : préférer la liberté à l’identité

À force de vouloir « être quelqu’un », nous oublions parfois d’être vivants.
Or, comme le rappelle Julia de Funès :

« Préférer la liberté à l’identité. Préférer l’existence à l’essence. »

La Gestalt-thérapie offre un espace pour retrouver cette liberté : celle de sentir, d’agir, de se relier, sans se figer.
Ainsi, l’enjeu n’est plus de savoir qui je suis, mais comment je suis au monde.

Et c’est peut-être là que commence le véritable sentiment d’exister.

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